Le 5 juin 2024, Margot, 10 ans, a perdu la vie, fauchée par une conductrice octogénaire en plein centre-ville de La Rochelle. Ce drame, qui a bouleversé toute une ville, est aussi devenu le symbole d’un angle mort de la sécurité routière en France : l’absence de contrôle médical régulier de l’aptitude à conduire.
L’association Victimes Solidaires, qui accompagne les victimes de la route et leurs familles, s’associe à la mobilisation citoyenne et parlementaire en faveur de l’instauration de visites médicales obligatoires et régulières pour les titulaires du permis de conduire. Une proposition de loi vient relancer le débat. Il est urgent d’y répondre.
Un accident qui n’aurait jamais dû se produire
Le 5 juin 2024, en fin de matinée, une voiture conduite par une femme âgée de 84 ans percute violemment un groupe d’écoliers dans une rue piétonne de La Rochelle. Margot, 10 ans, décède sur le coup. Plusieurs autres enfants sont blessés. La conductrice invoque un malaise, possiblement une syncope, mais aucun antécédent médical grave n’était officiellement connu. Pourtant, des éléments ultérieurs ont mis en lumière des troubles de l’orientation, des difficultés de coordination, et une perte d’autonomie progressive connue de l’entourage.
Lors du procès, qui s’est tenu le 1er juillet 2025 devant le tribunal correctionnel de La Rochelle, la douleur des parents de Margot était immense. Mais une autre souffrance s’est exprimée avec force : celle de constater qu’un tel drame aurait pu être évité. Une question est revenue sans cesse : qui évalue aujourd’hui l’aptitude à conduire, et comment ?
Une législation française dangereusement lacunaire
Contrairement à la majorité des pays de l’Union européenne, la France ne prévoit aucun contrôle médical systématique de l’aptitude à la conduite pour les conducteurs non professionnels. Il n’existe ni test visuel obligatoire, ni examen cognitif régulier, ni obligation de déclaration automatique en cas de pathologie affectant la conduite.
Aujourd’hui, un conducteur atteint d’un trouble de la vision, d’un début de maladie neurodégénérative, ou même sous traitement lourd, peut continuer à conduire sans qu’aucune instance ne soit informée, ni ne le contrôle. La seule obligation repose sur le bon vouloir de l’usager, invité à prendre rendez-vous avec un médecin agréé… s’il se sent concerné. Dans les faits, cela revient à externaliser la responsabilité sur les familles, les voisins, ou parfois les victimes elles-mêmes.
En parallèle, les médecins traitants, pourtant au plus près de la réalité clinique de leurs patients, n’ont pas le droit de signaler une inaptitude à conduire, même en cas de danger manifeste. Leur seul pouvoir est de « conseiller » de ne plus conduire — une démarche souvent vaine face au déni, à la honte ou à la peur de perdre son autonomie.
Un système inopérant, des tragédies évitables
Les données sont claires : ce dispositif reposant sur l’auto-déclaration ne fonctionne pas. La majorité des conducteurs concernés ne font jamais la démarche de consulter. Les visites médicales agréées sont rares, mal connues, et intégralement à la charge des usagers. Même en cas de signalement à la préfecture, le permis de conduire est souvent maintenu. Il n’est pas rare que des conducteurs impliqués dans un accident grave conservent leur droit de conduire plusieurs mois, voire plusieurs années après les faits.
Les victimes et leurs familles vivent cette situation comme une double peine : la douleur d’un accident évitable, et l’incompréhension face à l’inaction des institutions. Le cas de Margot en est une illustration tragique. Comment une conductrice dont les troubles étaient connus dans son entourage a-t-elle pu continuer à circuler sans alerte ?
Une proposition de loi pour rétablir le bon sens
Face à cette impasse, le député Frédéric Valletoux a déposé une proposition de loi soutenue par le collectif citoyen « Sauver des vies, c’est permis », visant à instaurer des visites médicales périodiques pour tous les conducteurs :
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Un certificat médical dès l’obtention du permis de conduire ;
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Un renouvellement tous les 15 ans jusqu’à 70 ans ;
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Puis tous les 5 ans à partir de 70 ans.
Ce contrôle ne serait ni discriminatoire ni punitif, mais simplement destiné à vérifier la compatibilité entre l’état de santé du conducteur et la sécurité routière. L’objectif est clair : protéger à la fois l’usager et les autres usagers de la route.
Une pratique déjà en vigueur chez nos voisins
Cette mesure, que certains opposants qualifient d’intrusive ou de stigmatisante, est déjà appliquée dans 14 pays européens, dont la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas ou l’Espagne. Les résultats sont là : en Italie, une baisse significative des accidents liés à l’inaptitude a été constatée depuis l’introduction du contrôle médical.
Pourquoi la France reste-t-elle à la traîne ? Sans doute en partie à cause d’un mythe tenace : celui du « droit fondamental de conduire à vie ». Or ce droit n’existe pas juridiquement. Le permis est une autorisation, pas un droit absolu. Il peut et doit être conditionné à l’aptitude réelle de celui ou celle qui le détient.
L’opposition organisée des lobbies automobiles
La principale opposition à ce projet provient des ardents défenseurs de l'automobile au premier rang desquels l'association « 40 millions d’automobilistes », qui revendiquent une liberté de conduire sans contrôle, assimilant cette mesure à une atteinte aux libertés individuelles. Mais cette position, idéologique et déconnectée de la réalité du terrain, ignore le coût humain des drames comme celui de Margot.
Conduire est une responsabilité, pas une liberté illimitée. Lorsqu’un usager, quel que soit son âge, perd ses capacités de réaction, de perception ou de discernement, il devient un danger pour lui-même et pour les autres. Ne pas agir, c’est accepter que des vies soient brisées.
La position de l’association Victimes Solidaires
Depuis plus de dix ans, Victimes Solidaires accompagne les familles touchées par les accidents de la route. L’association milite pour une politique de sécurité routière exigeante, juste et humaine.
À travers ce drame, nous réaffirmons :
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Notre soutien à la proposition de loi sur le contrôle médical périodique de l’aptitude à conduire ;
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Notre engagement pour que les médecins traitants puissent alerter sans être pénalisés ;
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Notre volonté de voir la France rejoindre ses voisins européens dans une logique de prévention ;
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Notre solidarité totale avec les familles de victimes, comme celle de Margot.
Il est temps d’agir, d’adopter cette mesure de bon sens, et de rappeler que le droit à la vie, à la sécurité et à la justice passe avant le confort ou les habitudes de quelques-uns.
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